Lech Kowalski, "arrêté parce qu'il filme la réalité du monde"

Publié le 13 Novembre 2017

Lech Kowalski, réalisateur polonais, nous livre dans l'Humanité dimanche n°584 son regard sur la société. Avec l'exemple de la lutte des salariés de GM&S, il dénonce les conditions de détention, les logiques financières destructrices et la volonté de le faire taire. Extraits :

"Le 20 septembre dernier, j'ai été arrêté alors que je filmais les salariés de l'usine GM&S en lutte qui occupaient alors la préfecture Guéret, une petite ville de la Creuse, en France, à des centaines de kilomètres de Paris, du pouvoir centralisé."

"Au moment où on m'a fait entrer à l'arrière d'une voiture de police, j'ai vu un gendarme empêcher un cameraman d'une grande chaîne de télévision française de filmer. Je suis vite arrivé au poste de police, mais, pendant le trajet, un des policiers m'a arraché ma caméra des mains."

"La pièce dans laquelle j'ai passé la nuit mesure 2,5m sur 1,5m. Un des murs, comme la porte, est en Plexiglas épais. Des graffitis, des traces de crachats, de morve, de sang séché couvrent les autres murs peints en jaune insipide. Un des murs est flanqué d'un banc en bois. Des toilettes à la turque dans un coin - en clair : un trou dans le sol - en plein champ d'une caméra surélevée, hors d'atteinte et pourtant protégée dans une boîte en Plexiglas. Un policier m'a dit que tout ce que je faisait était surveillé."

Lech Kowalski dénonce la logique prédatrice du capital à travers l'exemple des GM&S

"Après une nuit sans sommeil, on m'a mesuré, on a pris mes empreintes et on a photographié mon visage, mon corps et mon tatouage. On a aussi prélevé mon ADN. J'ai demandé pourquoi : une des deux fonctionnaires de police chargées de ce prélèvement m'a répondu que c'était "obligatoire". Suis-je un criminel ? Plein de gens dans le monde souffrent de torts et d'humiliations bien plus grands que ceux que je viens de décrire. Mais je me dois de souligner que ces actions procédurales - la prise d'empreintes, les photos, le prélèvement d'ADN - ont été pratiquées avant même que je puisse plaider ma cause en justice."

"L'infraction qui m'est reprochée a pour nom "rébellion". Le 15 novembre prochain, je serai traduit devant le procureur de Guéret, qui me demandera de reconnaître ma culpabilité et d'accepter une peine pour une infraction que je n'ai pas commise... (...) La nuit que j'ai passée en prison a été révélatrice, en ceci qu'elle m'a donné l'occasion de réfléchir à ce que j'avais appris au cours de ces six derniers mois, pendant lesquels j'ai filmé les salariés de GM&S en lutte. Macron, le président français, a dit de ces travailleurs qu'au lieu de "foutre le bordel", ils feraient mieux de chercher du travail. Des médias de masse, qui relaient le discours du gouvernement, décrivent ces salariés comme des dinosaures opposés aux progrès, des paresseux qui ne veulent pas travailler. C'est loin d'être vrai, certains travaillent là depuis 40 ans. L'âge moyen dans l'usine est de 50 ans. GM&S est comme une deuxième maison pour eux. Aujourd'hui, ils se battent surtout pour conserver leur mode de vie, qu'ils n'ont pu atteindre qu'après des années et des années de travail. Avant sa disparition, GM&S était le deuxième plus grand employeur privé dans une des zones les moins peuplées de France. GM&S fabriquait des pièces détachées pour Renault et Peugeot surtout. Ça n'a pas toujours été le cas. Avant de devenir GM&S, l'usine - qui a maintes fois changé de propriétaire et de nom - avait une activité plus diversifiée. Comme tant d'autres, elle a été détruite par la logique financière à sens unique de ses actionnaires consécutifs. La lutte de ses salariés illustre en fait ce qui arrive aux ouvriers du monde entier, et cette histoire, leur histoire porte bien au delà du territoire français.. (...) Dans le monde entier, les gouvernements sont incapables de gérer les problèmes sociaux abyssaux qui résultent de l'impact incroyable des multinationales sur nos vies. Pour moi, c'est très clair : nous, citoyens, avons perdu toute illusion de vivre en démocratie. Où sont les gouvernements, aujourd'hui, alors que les peuples ont besoin d'eux comme jamais ? Je filme la lutte des salariés de GM&S pour soulever ces questions. C'est pour ça que j'ai été arrêté. Les oligarchies ont peur de mes images. J'ai été arrêté parce que je suis un cinéaste indépendant qui filme la réalité du monde qui l'entoure."

Rédigé par amis de l'humanité 63

Publié dans #Actualité

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